Le Théâtre du Peuple de 1895 à nos jours ...

Visite virtuelle de l'intérieur du Théâtre

Si vous ne parvenez pas à visualiser cette vidéo, vous pouvez télécharger Quick Time ici

« L'arrivée par la route de Thann, les lacets de la route, la forêt sombre, le col, la descente raide vers le village. La traversée de Bussang, le village, les anciens thermes, la place, se garer dans le pré cabossé. L'enfant au tee-shirt jaune qui me vend le programme. Le théâtre dressé dans son écrin d'arbres. Les accents du solennel, la douceur de l'après midi d'été, le gazon, le gravier blanc. On entre, on s'installe, on flâne, on goûte, on se prend en photo. Le théâtre en polaroïd et laine polaire. « Par l'art, pour l'humanité ». La lumière qui filtre. Les histoires à son voisin, comme de rien « les lustres, c'était pour une mise en scène telle année; et puis ils les ont mis dans la salle ». Les regards reconnus, qui se reconnaissent. »

VAUTRIN Eric, "Hôtes et brigands au Théâtre du Peuple de Bussang" in Du théâtre amateur, approche historique et anthropologique, CNRS Editions, Paris 2004

Timbre théâtre du peuple Maurice Pottecher


Le fondateur, Maurice Pottecher (1867-1960)

Maurice Pottecher

La saison du Théâtre du Peuple est inscrite dans la vie de Bussang et de ses habitants depuis l'été 1895, durant lequel son fondateur, Maurice Pottecher, jeune poète, fils et petit-fils d'industriel bussenet, donne sa première représentation dans un champ, à l'emplacement actuel du théâtre.

 

 

La vie parisienne

Parti faire ses études à Paris, Maurice Pottecher côtoie les grands noms littéraires de l’époque tels Léon Daudet, Edmond de Goncourt, Jules Renard, Paul Claudel...
Rédacteur à L’Echo de Paris, critique théâtral et musical à La République française, il nourrit très vite ses propres ambitions d’auteur dramatique, se réclamant aussi bien de l'humanisme du théâtre antique ou élisabéthain que des théories de son époque tel le naturalisme. Sa première pièce, Le diable marchand de goutte, dans la lignée du théâtre symboliste, est d'ailleurs saluée par ses pairs.
Témoin des remous qui agitent le monde du spectacle parisien, il s’oriente vers un théâtre novateur, proche du public, qui exprime les idées morales qui lui sont chères : « un théâtre à la portée de tous les publics, un divertissement fait pour rapprocher les hommes et gommer les clivages sociaux et culturels ».

Le retour à Bussang

Maurice Pottecher a l’habitude de revenir passer ses étés à Bussang, son village natal. Au cours de sa villégiature de 1895, il écrit Le Diable marchand de goutte qu’il monte, à l’aide de son épouse, la comédienne Camille de St Maurice, pour une seule représentation. Camille, surnommée plus tard « tante Camm » par les habitants du village, jouera un rôle très important dans l'entreprise de son époux aussi bien au niveau de la mise en scène que dans le choix des comédiens.

Écrite en un mois, la pièce est jouée le 1er septembre 1895. Les premiers rôles sont distribués aux membres de la famille Pottecher et les autres (seconds rôles et figuration), sont tenus par les habitants du village et les ouvriers des usines environnantes.
Cette représentation rencontre un franc succès et attire plus de 2000 spectateurs.

Un pionnier du théâtre « populaire »

Durant toute sa vie, Maurice Pottecher a souhaité faire du Théâtre du Peuple un théâtre populaire, pour tous, rejetant l'idée d'un théâtre dédié à une partie de la population :

« J'entends par théâtre populaire celui où les divers éléments, dont l'ensemble constitue un peuple, peuvent prendre place et s'intéresser également à l'œuvre représentée »

Si l'ambition affirmée du dramaturge est sans conteste d'ouvrir le théâtre à tous les spectateurs, il affiche la même détermination à confier certains rôles à des comédiens amateurs.

Même si la volonté de Maurice Pottecher n'est pas d'impulser un mouvement théâtral national, son œuvre a été fondatrice du Théâtre Populaire tel que l’ont pensé et réalisé plus tard Gémier, Copeau, Vilar ou Dasté.

Romain Rolland lui dédie son ouvrage Le théâtre du Peuple et Jean Vilar souligne le 9 mars 1958 :
« L’œuvre de Maurice Pottecher fut déjà pour nos grands aînés, un exemple, un pur exemple de Théâtre Populaire. Il le reste pour nous. Bussang est une entreprise émouvante. Une leçon, au meilleur sens du terme ».

La construction : influences et chronologie

La volonté d'impliquer toute la population dans l'entreprise théâtrale ainsi que le succès de sa première pièce persuadent Maurice Pottecher de construire son propre théâtre. A n'en pas douter, cette réalisation s'accorde parfaitement avec l'esprit que souhaite lui insuffler l'auteur. Le lieu, le nom, le matériau principal et même la devise s'attachent à donner une cohérence au projet.
Ainsi, la ville de Bussang, bien éloignée des mondanités parisiennes et autres théâtres géographiquement inaccessibles, s'ancre au cœur du massif vosgien.
Cette conception se retrouve dans le nom même de "Théâtre du Peuple", comme le rappelle Pierre Richard-Willm, successeur de Maurice Pottecher à la direction du Théâtre.

"Ce nom, ce titre, si loué par les uns (de Tolstoï, une lettre, respectueusement gardée - et regardée, au Foyer du Théâtre - dit son enthousiasme et ses encouragements), si mal compris par d'autres, ne dit que ce qu'il est : Théâtre pour Tous. Et ce ne fut pas une utopie ! Les poètes voient souvent plus juste qu'on ne pense. Depuis le jour de sa création, trois quarts de siècle jusqu'à hier encore, ce théâtre n'a regroupé que des bonnes volontés, désintéressées, anonymes et recrutées dans toutes les classes sociales, avec un naturel et une cordialité qui me surprennent et m'émeuvent encore, après tant d'années. De même pour ce public, si fidèle, si varié, ouvriers, cultivateurs, citadins et lettrés qui, dans la même joie, se côtoient et se sourient aux entractes, sous les ombrages du grand parc
Pierre Richard-Willm

De la même manière, un des aspects majeurs du théâtre, sa structure en bois, reflète premièrement l'attachement de l'auteur à sa région: la ressource première est en effet le bois à cette époque. D'autre part, la même dynamique s'incarne dans l'inspiration architecturale. Maurice Pottecher souhaite recréer une atmosphère proche de celle des chalets ou des granges et permettre ainsi aux spectateurs de retrouver un univers familier.
Enfin, la devise « Par l'art, Pour l'humanité » s'inscrit pleinement dans cette démarche et illustre parfaitement les idéaux fédérateurs de Maurice Pottecher.

On ne peut toutefois pas limiter les influences pottecheriennes à la dimension populaire. D'autres sources interviennent, parmi lesquelles le fameux Théâtre de Bayreuth, opéra crée par Richard Wagner dans le but de jouer ses propres oeuvres. Ce théâtre s'inspire par ailleurs lui-même des théâtres antiques.

L'opéra Wagnérien de Bayreuth

 

« [...] le théâtre de Bussang n'est pas un théâtre. C'est le Théâtre du Peuple, reconnaissable entre tous pour celui qui l'a fréquenté. Ses bancs presque d'école sur lesquels on est finalement bien mal assis, sa devise vulnérable annonce : « Par l'art, pour l'humanité » inscrite en écorce sur le manteau d'arlequin, son arrière scène qui s'ouvre sur la forêt, son toit qui laisse se faufiler les filets de lumière de l'après midi, son silence ponctué par les bruits du village, son architecture semblant hésiter entre le Festspielhaus wagnérien, une grange, un chalet et une cathédrale... »
VUTRIN Eric, "Hôtes et brigands au théâtre du peuple de Bussang" in Du théâtre amateur, approche historique et anthropologique, CNRS Editions, Paris 2004


En ce qui concerne le financement, c’est grâce au mécénat familial que le théâtre peut se bâtir. La construction se fait en plusieurs étapes, le bâtiment évoluant entre 1895 et 1994:

1895 Théâtre de plein air dont seule la scène, adossée à la montagne, est construite.

1896 Scène permanente de 15 mètres de large, 10 mètres de profondeur et 10 mètres de hauteur. Le fond de scène s'ouvre sur la nature par quatre grandes portes roulantes. Une trappe est aménagée sous la scène. Installation de bancs en bois pour 2000 spectateurs


1898 Tribune et galerie latérale recouvertes d'un Velum, sans fermeture de côté. Création de la fosse d'orchestre et du proscenium.


1904 Installation de l'électricité

1913 Aménagement de la pente du parterre qui rejoint la tribune

1921-1924 La menuiserie Hans réalise une salle de plus de 1000 places, fermée sur les côtés et couverte par un toit aux poutres apparentes d'une portée audacieuse, avec quatre loges d'avant-scène. La scène garde son fond mobile

1939 Construction de la machinerie de théâtre, aménagement des coulisses, surélévation de la cage de scène de 6 mètres (le pignon est alors à 20 mètres)

1945-1950 Pose du plancher, construction des annexes pour y abriter des loges, des chambres, un atelier de couture, des magasins de costumes et d'accessoires


1975 Classement aux monuments historiques

1986 Construction de l'atelier décor

1994 Reconstruction de l'entrée initiale du théâtre

2005 Rachat du théâtre par l'Etat

Particularités et traditions

La désormais mythique ouverture des portes du fond de scène apparaît pour le fondateur du théâtre comme une évidence. En 1895, la représentation du Diable marchand de goutte est donnée sur une estrade plantée dans un champ à flan de colline. C'est donc dans cette continuité que l’ouverture des portes s'est imposée lors de la construction. Elle doit permettre de jouer sur le plateau et à même la montagne afin de créer une harmonie entre l’Art et la Nature. Depuis sa création, (exception faite en 1922 pour L'Anneau de Sakountala de Maurice Pottecher), chaque nouveau metteur en scène intègre cet élément dans la mise en scène des pièces présentées à Bussang. Cette particularité est à tel point ancrée dans la tradition théâtrale bussenette que le metteur en scène Jean-Claude Berutti provoque un scandale en 2000 avec Le pupille veut être tuteur de Peter Handke. Il a en effet renoncé à utiliser ce procédé dans sa réalisation mais est contraint de la réviser sous la pression de la critique et du public! Cette situation est d'autant plus surprenante que Maurice Pottecher n'a jamais cherché à imposer une telle tradition.

La pente du plateau (7%) respecte l’inclinaison naturelle de la montagne. Après la seconde guerre mondiale (le théâtre a été bombardé sept fois durant cette période), l'espace dédié aux spectateurs est réaménagé avec la même inclinaison, produisant un effet miroir et permettant une meilleure visibilité.

L’horaire des représentations est resté inchangé depuis la création du théâtre. A l’origine, un seul spectacle était présenté à 15h pour une durée moyenne de 3 heures. A l’intérêt de la lumière du jour pour apprécier l'ouverture du fond de scène s'ajoute une raison pragmatique : les spectateurs de l'époque venaient à Bussang par le train de 14h30 et repartaient par celui de 18h30. Il fallait donc des pièces suffisamment longues pour occuper le public tout l'après-midi.

Dynamismes d'hier et d'aujourd'hui

Les successeurs de Maurice Pottecher

Maurice Pottecher écrit et met en scène ses pièces. Ainsi, pendant des années, le répertoire donné au Théâtre du Peuple est celui du "Padre" (surnom de Maurice Pottecher).

Le premier à prendre la relève est Pierre Richard-Willm, fils spirituel de Maurice qui continue à perpétuer la tradition pottecherienne. Il faut attendre 1971 pour voir la première pièce du répertoire classique français, Le Médecin malgré lui de Molière, mis en scène par Yaneck, le directeur artistique de l’époque. Tibor Egervari, directeur de 1972 à 1985, continue à proposer des adaptations des oeuvres de Maurice Pottecher et diversifie le répertoire avec des pièces de Shakespeare, Hugo, Labiche... Viennent ensuite après 1988, pêle-mêle, Pierre Diependaële, Pierre-Etienne Heymann, Philippe Berling, Jean-Claude Berutti, Christophe Rauck, Pierre Guillois et enfin Vincent Goethals, directeur et metteur en scène depuis septembre 2011.

Aujourd’hui, le répertoire du Théâtre du Peuple offre une grande diversité dans le choix et le traitement des textes pour le spectacle de l'après midi comme pour celui programmé en soirée.

La devise du théâtre est toujours vivace. Depuis sa création, le Théâtre du Peuple fonctionne avec tous les amateurs du théâtre qu'ils soient ou non professionnels.

L'association du Théâtre du Peuple perpétue cet héritage en se donnant comme mission « la création et la présentation de spectacles vivants réalisés par des metteurs en scène professionnels, la formation des comédiens amateurs et le développement des pratiques amateurs régionales ».

Les saisons du Théâtre

Le Théâtre du Peuple fonctionne toute l'année et se compose d'un conseil d'administration, de membres bénévoles, d'un directeur/metteur en scène (élu par l'association pour trois années) et d'une équipe administrative permanente. Par ailleurs, des professionnels et des stagiaires techniques, artistiques et administratifs interviennent ponctuellement en dehors et pendant la saison estivale.

N’étant pas chauffé, le théâtre a jusqu'ici « hiberné » pour n’accueillir les créations qu’en été. Il est donc très fortement recommandé de se munir de vêtements chauds et d’un coussin (les bancs sont en bois)!

Tout au long de l’été, en plus du spectacle de l'après midi et des spectacles invités, des stages (théâtre, chant, danse...) sont également proposés, lesquels aboutissent à des présentations publiques.

 

Autres références :