Entretien avec Vincent Goethals

Vous arrivez à Bussang avec le projet de faire, chaque année, une commande d’écriture à un auteur.
En quoi commander une pièce à un écrivain est un déclenchement artistique pour vous ?

Cela fait déjà un certain nombre d’années que j’ai découvert le plaisir et la nécessité de travailler en direct avec les auteurs vivants. C'est-à-dire, oser le pari de la commande d’écriture, avec tous les risques que cela comporte, dans une complicité et un véritable échange. OEuvrer ensemble, écrivain et metteur en scène, sur l’élaboration et la maturation de la pièce en gestation. Ce que j’aime dans ce travail en étroite collaboration avec l’écrivain – et c’est le même plaisir que j’ai avec le scénographe, la costumière ou les créateurs son et lumière - c’est de profiter du savoir-faire d’un autre artiste, de laisser nos imaginaires respectifs se « frictionner » et s’entremêler, afin que l’oeuvre globale prenne finalement plus de couleur, d’épaisseur et d’âme.
En 2006, j’ai créé au Théâtre du Nord de Lille la très belle tragédie africaine de Laurent Gaudé « Salina », mais lorsque je l’ai abordée, la pièce était déjà écrite.
J’ai été très heureux que Laurent Gaudé accepte à la fois la commande d’écriture, et ce jeu de va-et-vient et de dialogue entre nous. Cette pièce s’appellera « Caillasses », sera créée au Théâtre du Peuple cet été…Et j’en suis fier !

Avez-vous choisi la thématique ensemble avec Laurent Gaudé ou laissez-vous toute liberté à l'auteur ?

Il m’est déjà arrivé de faire des commandes à des auteurs, en leur spécifiant une thématique très précise.
En l’occurrence avec Laurent Gaudé, j’ai préféré aller à l’endroit où il avait lui-même envie de cheminer.
En sachant qu’à Bussang la problématique est un peu particulière. En effet, la fameuse création de l’après-midi doit être une pièce ample, durer près de 2h30, et comprendre un grand nombre de personnages, puisqu’elle mêle un tiers d’acteurs professionnels et deux tiers de comédiens amateurs.
Ce sont donc ces «seules» contraintes que j’ai données à Laurent Gaudé. Cependant, ayant pris mes fonctions à la direction du Théâtre du Peuple en septembre 2011, le temps de gestation était très court pour Laurent Gaudé qui n’a eu qu’une toute petite année pour écrire la pièce commandée. On a donc convenu ensemble  de choisir parmi les quelques bribes de scénarios qu’il avait déjà en chantier dans ses tiroirs.
Et, finalement, cette question des terres et des territoires, des combats légitimes et des méthodes injustifiables, a été la source d’inspiration retenue pour l’écriture de « Caillasses ».

 

Est-ce que Caillasses vous a plu tout de suite ?

Laurent Gaudé m’a envoyé assez vite le premier acte qui m’a immédiatement emballé par la puissance de la langue, la force émotionnelle du récit et cet art impressionnant qu’il a de convoquer l’imaginaire.
J’aime la manière dont, en une seule et très grande première scène, il pose d’emblée et de manière éminemment théâtrale les enjeux de toute la pièce.
Après quelques mois, sur mon insistance, parce que je devais réfléchir à la scénographie avec Jean-Pierre Demas, Laurent Gaudé m’a donné une première version de l’ensemble des quatre actes.
A la première lecture, j’ai ressenti une sorte de trouble, comme le vertige du metteur en scène face à un objet théâtral tellement original et inclassable…
Laurent Gaudé a d’ailleurs pris mes premiers commentaires pour de la déception, alors que tout simplement il me fallait un peu de temps pour apprivoiser ce récit et surtout comprendre l’étendue des possibles qui s’offrait à moi, en tant que metteur en scène.
En effet, il parle « d’épopée contemporaine », et je dirais, quant à moi, que « Caillasses » est un véritable oratorio dans lequel Laurent Gaudé revisite à la fois la nature profonde du choeur antique, mais où également, il opère un glissement dans le langage-même des personnages entre le discours direct et le mode narratif. Ceci n’est pas sans poser quelques problèmes dans la manière d’envisager la direction d’acteurs, mais annonce pour l’avenir un travail tout à fait passionnant de recherche d’une forme théâtrale différente et, je l’espère, envoûtante.

Est-ce la première fois que vous travaillez en mélangeant acteurs professionnels et acteurs amateurs ?

Non, non, il m’est déjà arrivé dans plusieurs pièces d’intégrer des comédiens amateurs - je pense, par exemple, au « Pont de pierres et la Peau d’images » de Daniel Danis que j’ai créé au Grand Bleu à Lille, et dans laquelle intervenait une quinzaine d’adolescents ; mais aussi, plus récemment, à une création que j’ai faite au Rideau de Bruxelles « Le cocu magnifique » de Fernand Crommelynck. A l’origine, dix élèves comédiens, issus du Conservatoire Royal de Mons, ont participé à la création au côté des acteurs professionnels. Puis, tout au long de la tournée, j’ai poursuivi cette démarche en formant des comédiens amateurs locaux dans chacune des villes qui nous accueillait. Cette expérience a vraiment été enrichissante. Pour les acteurs professionnels d’abord, qui ont eu un plaisir immense de découvrir, à chaque étape, de nouveaux partenaires. Mais aussi pour les théâtres eux-mêmes, qui ont pu bénéficier d’un travail d’action artistique et culturelle ambitieux sur leur territoire avec des acteurs locaux enthousiastes et fédérateurs. C’est au cours de cette tournée - mais le hasard n’existe pas - que le poste de directeur du Théâtre du Peuple s’est libéré…et que j’ai imaginé « exporter » le fameux spectacle de l’après-midi de Bussang, dans d’autres villes, avec chaque fois de nouveaux amateurs…Merci à Paul Emile Fourny et Jacky Castang d’avoir relevé le défi, et de nous accueillir à Metz et Thaon-les-Vosges, pour quelques représentations de « Caillasses », à l’automne prochain !

Comment imaginez-vous la mise en scène de Caillasses ?

Je me suis entouré de mon équipe de collaborateurs habituels. Nous formons « une gang » de doux dingues qui partage le même amour des mots et qui pense que l’Art est une denrée vitale et essentielle pour l’épanouissement de l’être-humain. Nous revendiquons un théâtre politique, un théâtre qui questionne le monde, qui croit encore en la puissance du Beau…
Ces amis, artisans de théâtre, ont une grande part dans l’esthétique de mes spectacles…Nous sommes au travail ! Par ailleurs, je rencontre ces temps-ci les candidats amateurs venus des quatre coins de France et de Belgique ; ils sont nombreux à vouloir faire partie de l’aventure de cet été, et je dois me résoudre à n’en sélectionner qu’une douzaine !...
Pour le reste, je suis vraiment encore au début du processus de création, et donc dans l’impossibilité d’en dire beaucoup plus…Alors rendez-vous le vendredi 13 juillet 2012 !

Propos recueillis par Isabelle Lusignan
conseillère dramaturgique

 


Vincent Goethals, metteur en scène

Issu de l’Ecole Nationale Supérieure d’Art Dramatique de Lille, il crée en 1988 la compagnie Théâtre en Scène qui présente ses premiers spectacles (Horowitz, Pirandello, Klauss Mann) qu’il joue et met en scène.
Il devient pour un temps co-directeur artistique du Gymnase de Roubaix où il joue et met en scène entre autres Duras, Shnitzler, Claudel, Brecht, Valletti, Koltès…Tour à tour artiste associé à l’Hippodrome et au Bateau Feu, scènes nationales de Douai et Dunkerque, il entame un processus de créations très intimement lié à l’écriture francophone contemporaine.
Il y mettra en scène des pièces d’auteurs québécois (Bouchard, Danis, Mouawad, Fréchette), africains (Efoui, Kwahulé, Ghazali) et belges (Mabardi, Tison, Cotton). Ces dernières années, des collaborations internationales verront le jour avec le Rideau de Bruxelles (Le cocu magnifique de Crommelynck), le Théâtre de Namur et le Public de Bruxelles (Aux hommes de bonne volonté de Caron) et le Théâtre de Vidy Lausanne (Une laborieuse entreprise de Levin). C’est lors de sa résidence au Théâtre du Nord (CDN de Lille) qu’il mettra en scène Salina de Laurent Gaudé, auteur qu’il a associé, cette saison, au Théâtre du Peuple de Bussang dont il a pris la direction en septembre 2011.